Joël R. Assoko

Ses yeux

In Pêle-mêle on 27 mars 2010 at 14 h 59 min

Et tout mon sang coule dans leurs regards.

Paul Eluard, La courbe de tes yeux

Je n’entends rien. Ses yeux sont orage de Turner, liqueur de violette et précipité d’absinthe. Je n’entends rien de la musique qui s’affole. Les couples s’embrassent, s’enlacent, s’effacent. Je n’en perçois rien. Elle a dans le cou la nostalgie du jasmin qui s’épanouit en fin d’été. Qu’une femme puisse transpirer est la preuve ultime que Dieu existe.

à mes côtés, ils boivent, pour tromper l’ennui, pour occuper leurs mains. Je bois pour l’alcool. Ils trinquent à l’amitié et aux diables de l’amour, je bois aux vers et à la vérole. Ils boivent pour gommer leur timidité, je bois pour l’accentuer. Je n’entends rien. De la foule qui s’éclipse. Je n’entends rien des mots qu’ils se murmurent.

Elle ne sait pas danser. Sa tête suit son corps et nous mène près de tomber. Elle m’écrase le pied. Ils ne savent pas la magie d’un corps qui se refuse à lui-même. Lokua Kanza leur est capitale africaine. ce monde ne peut pas être mien.

Ses yeux sont une incitation au viol, quand elle les plonge dans les miens, j’ai l’impression qu’elle me gronde. Ses yeux sont comme le Mexique, le guerrier romain de Botero, une pluie au petit matin, l’italien, une enfant qui danse, le sein d’une mère qui allaite, les paupières d’un vieil homme,  Avril et Juin, une chanson de Juan Luis Guerra, l’anorexie, c’est folie que de les décrire.

Je n’entends plus rien. Sa main a quitté la mienne. Il fait jour. Merde, j’ai raté l’aube pour ses yeux.